I - Introduction
Le discours politique a fait l'objet d'innombrables
études tant théoriques qu'empiriques. Des corpus
formés d'allocutions de personnages publics, de programmes
de partis, de messages de propagande ont servi de données
premières pour le traitement et l'investigation des thèmes,
des stratégies d'énonciation et des positions idéologiques
qui structurent le champ symbolique de l'organisation et de l'exercice
du pouvoir au sein des sociétés contemporaines.
Or, même s'il est incontestable que l'analyse
du discours politique se soit déjà taillé
un espace propre - au carrefour de plusieurs disciplines et méthodes
- dans l'univers de la recherche en sciences sociales, elle demeure
pourtant une approche largement tournée vers le singulier
et le local. On constate, en effet, que la formulation ad hoc
de modèles analytiques pour des corpus particuliers l'emporte
le plus souvent sur la mise en oeuvre de procédés
généralisables à divers matériaux
textuels. L'étude comparative des régularités
nous semble pourtant capitale: quelles sont les propriétés
et le spectre des variations observables dans tout discours politique?
Nous nous sommes posé trois questions ayant trait à
ce problème:
i) comment combiner les acquis de l'algorithmique
numérique appliquée aux données textuelles
avec la construction conceptuelle d'indices discursifs dans un
cadre interprétatif donné? ii) comment établir des outils heuristiques visant moins la sophistication de la preuve définitive que la description préliminaire et synthétique de l'objet étudié?
iii) comment définir des critères formels
servant à produire des résultats comparables et
cumulatifs pour divers corpus et différents types de discours
politique?
Nous avons alors conçu le projet d'un protocole
de description composé de modules automatisés et
semi-automatisés permettant d'appliquer une batterie de
tests sur un corpus politique quelconque. L'ensemble des procédures
prévues par notre protocole de description vise à
produire un document de base à partir duquel des fouilles
ultérieures plus précises pourront être effectuées.
Il s'agit donc d'un outil d'exploration ainsi que d'un guide de
travail pour la génération d'hypothèses de
recherche dans une perspective comparative. Nous adoptons ici
une approche de standardisation des procédures plutôt
que d'adéquation de l'outil au corpus et à la problématique.
Dans la présente communication, nous exposons
quelques aspects de nos travaux préliminaires. Nous avons
développé une expérience pilote sur un ensemble
multilingue de textes. L'objectif de cette démarche a consisté
à mettre au point le modèle général
et d'évaluer le potentiel analytique de l'approche proposée.
II - Choix des corpus et définition du
protocole
Dans le cadre de cette expérience, nous avons
voulu constituer une base de textes assez hétérogène
afin que les principaux problèmes puissent ressortir à
ce stade préliminaire de notre travail. Il nous a paru
en effet intéressant de tester le protocole sur des corpus
de langues différentes et issus de contexte socio-politiques
disparates, de manière à être en mesure d'évaluer
la faisabilité du projet à son niveau le plus critique:
soit la possibilité d'établir des "variables"
susceptibles de caractériser tout discours politique. Ceci
suppose évidemment une hypothèse forte: le discours
politique est un objet théorique et empirique ayant des
propriétés particulières, ce qui implique
la possibilité d'envisager la description formelle du genre
à travers ses universaux et ses domaines de variation.
Nous avons décidé de retenir trois
discours de leaders politiques: i) le discours électoral de l'américain Bill Clinton (une soixantaine d'allocutions prononcées par le candidat présidentiel du Parti Démocrate durant la campagne de 1991-1992); ii) le discours officiel du canadien Brian Mulroney (sept allocutions à titre de premier ministre, soit quatre Discours du Trône et trois allocutions d'ouverture à des conférences des premiers ministres au cours de la période 1984-1991);
iii) le discours public de l'argentin Carlos Menem
(les 33 principales allocutions publiques prononcées pendant
la première année de son terme présidentiel,
1989-1990).
On a ainsi trois pays (les États-unis, le
Canada et l'Argentine), trois langues (l'anglais, le français
et l'espagnol), trois systèmes et cultures politiques,
trois conjonctures et aussi trois figures fort différentes:
le candidat qui cherche à séduire les foules, le
premier ministre qui s'adresse formellement aux législateurs
et aux chefs de gouvernements provinciaux, le président
qui parle à la nation. Malgré cette diversité,
ce sont tous les trois des discours visant le ralliement autour
d'un projet sociétal dans le cadre légitime du pouvoir
étatique.
La vocation empirique et, en principe, instrumentale
de notre protocole n'implique pas pour autant l'absence de substrat
théorique. En fait, l'approche que nous proposons n'aurait
pas de sens en l'absence d'un travail de conceptualisation. Nous
définissons le discours politique comme la représentation
de l'espace, de la communauté, des rapports sociaux et
du rapport de l'individu à la société (l'éthique).
Le discours politique prend part ainsi aux différents procès
d'institutionnalisation de la société et contribue
à la formation de blocs sociaux particuliers (Bourque et
Duchastel, 1988). En tant que l'une des formes centrales de la
représentation dans l'État moderne, le discours
politique participe à la figuration de l'unité sociétale.
Mais ce procès s'effectue à travers des luttes discursives,
chaque discours politique proposant un sens, parmi d'autres possibles,
qui légitime et naturalise un certain mode d'organisation
de la vie collective (Lefort, 1978).
Nous ne retiendrons cependant pour les fins de cette
expérimentation que certaines "traces idéologiques"
du discours politique telles qu'elles se manifestent dans les
dispositifs d'interpellation - la désignation des collectifs,
les procédés d'interlocution qui consolident le
lien discursif - et dans le registre thématique: la référence
à des valeurs et à des symboles qui légitiment
l'action politique et font appel aux solidarités fondamentales
(de Ipola, 1983).
Nous faisons l'hypothèse que tout corpus
comportera alors, au niveau de sa surface textuelle, un certain
nombre de dimensions liées à la logique même
de cette production discursive, dimensions qu'il est possible
de repérer à travers des récurrences lexicales,
comme par exemple: des aspects référentiels: - modalités de désignation de la communauté (nationale), des agrégats objectifs (catégories démographiques, géographiques, etc.) et des collectifs d'appartenance (identitaire); - références à des valeurs (existentielles, disciplinaires, libérales, de promotion collective, etc.); - modalités de désignation des acteurs sociaux (politiques, économiques, etc.) et des institutions (privées, publiques);
- références à des "sphères"
de l'activité sociétale (travail, culture, etc.);
des aspects indiciels: - marques déictiques; - marques de modalisation; - marques pragmatiques;
- marques d'argumentation, etc.
Un protocole idéal produirait des fouilles
systématiques permettant d'obtenir des résultats
standards pour chaque aspect référentiel et indiciel
jugé pertinent pour l'analyse conceptuelle. Dans cette
première expérience toutefois, nous nous sommes
attardés sur les aspects suivants: 1. Les noyaux du contenu. 2. La désignation des entités macro-politiques. 3. Le covoisinage des désignateurs macro-politiques. 4. L'inscription du locuteur dans l'énonciation.
5. La modalisation verbale.
IV - Présentation de l'expérience
1. Les noyaux du contenu
La caractérisation d'un texte en fonction
de quelques unités nodales de signification (lexèmes
ou chaÎnes de lexèmes) constitue l'une des intuitions
de base de l'analyse quantitative à entrée lexicale.
On postule que ces unités "condensent" la particularité
du message, reflètent certaines invariants thématiques
ou, encore, traduisent le propos central du discours. L'étude
de la stabilité lexicale et l'étude de la discrimination
lexicale, dans une perspective soit intertextuelle, soit intratextuelle,
représentent les deux principales stratégies utilisées
à cette fin. Nous proposons les définitions suivantes
des diverses stratégies possibles: a) Stabilité intertextuelle. Il s'agit de l'observation du "vocabulaire de base", formé des unités qui ont dans tous les domaines discursifs retenus, une fréquence relative sensiblement constante et qui expliquent donc le moins les différences. L'objectif est d'identifier les mots "obligés", ceux qu'aucun locuteur ne peut conjurer à l'intérieur d'un genre ou dans un contexte déterminé (Bonnafous, 1983).
b) Discrimination intertextuelle. Il s'agit des mots
distinctifs de tel discours par rapport à tel autre ou
à un corpus témoin qui sert de "norme".
Le but est de saisir le contenu du discours dans sa singularité,
de voir en quoi il est original à l'égard des discours
concurrents (Chapelle, Couvreur et Pagano, 1992).
c) Stabilité intratextuelle. Il s'agit du
vocabulaire "général" qui est employé
par le locuteur quelles que soient les circonstances de l'énonciation,
indépendamment du thème traité. Le but est
d'obtenir une image des "habitudes" lexicales du locuteur
(individuel ou collectif), de ce qui est récurrent dans
son discours (Roselli, 1992).
d) Discrimination intratextuelle. Ce sont les mots
"localisés", ceux qui contribuent à particulariser
le discours en fonction de la circonstance de communication et
des thèmes ponctuels. On vise à observer les variations
- chronologiques ou selon les auditoires, par exemple - dans les
choix lexicaux du locuteur (Hubert et Labbé, 1990).
Dans le cadre de notre protocole, ces quatre dimensions
s'avèrent tout à fait pertinentes, d'autant plus
qu'elles peuvent faire l'objet de procédures automatisées
ou semi-automatisées. Certaines contraintes opérationnelles
se posent toutefois: d'abord, la discrimination intertextuelle
exige une situation de "comparabilité", c'est-à-dire
la disponibilité de corpus de taille similaire, de même
langue et structure formelle, etc.; ensuite, sur le plan intratextuel,
le type de partition et le nombre de segments de chaque corpus
aura une incidence sur le calcul des indicateurs de stabilité
et de discrimination.
Dans le cadre de notre démarche expérimentale,
nous avons retenu l'aspect de la stabilité intratextuelle
qui nous permet de dresser des profils synthétiques pour
les trois corpus. Nous procédons d'abord au filtrage des
mots-outils et presqu'outils et fixons des seuils de fréquence
et de répartition minimales pour les mots-pleins. Nous
avons préféré, à cette étape
de mise au point, travailler avec des indices relativement simples,
ce qui n'exclut pas l'application éventuelle d'indicateurs
plus élaborés.
Nous avons cherché ainsi à établir
la stabilité d'un certain nombre de mots correspondant
à des notions qui reviennent de manière régulière
dans les discours analysés. Il s'agit, en quelque sorte,
du dépistage des termes qui, tout en véhiculant
des représentations (substantifs, adjectifs, verbes et
adverbes), exhibent un comportement lexicométrique similaire
à celui des articles, prépositions, auxiliaires,
etc.: ils sont employés quel que soit le contexte d'interlocution.
Ce sont les "mots habituels", par opposition aux "mots
circonstanciels". On retrouve dans ce vocabulaire de base
(voir Tableau 1): i) la référence à la communauté et à l'identité nationales; - chez Clinton, au moyen des notions de people, America et country; - chez Mulroney, au moyen des notions de Canada, Canadiens et canadienne;
- chez Menem, au moyen des notions de nacional,
pueblo, país et argentinos;
ii) la référence au monde (world,
monde et mundo);
iii) la référence au temps présent
par l'adverbe qui signifie "en ce jour même",
"au temps où l'on est" (today, aujourd'hui
et hoy). Par ailleurs, on remarque certaines particularités, à savoir:
i) les verbes want, make et know, ainsi
que les termes years et president dans le discours
de Clinton;
ii) les termes gouvernement et droits,
ainsi que l'infinitif faire dans le discours de Mulroney.
La question-clé à poser est la suivante:
quel genre d'information obtenons-nous, par ce procédé,
en regard d'une lecture heuristique? Comme nous l'avons signalé
plus haut, même si la visée du protocole est d'abord
descriptive - plutôt qu'interprétative - il n'en
reste pas moins que l'objectif est de développer un outil
d'aide à la génération d'hypothèses
et, en ce sens, comportant une valeur analytique.
Or, l'examen de ces "mots banaux" peut
servir de voie exploratoire aux "universaux" du discours
politique d'une époque, ainsi qu'aux grands traits distinctifs
des corpus retenus. Retenons, à titre d'illustration, ce
qu'on peut nommer la "configuration pays - monde - aujourd'hui".
Il est possible de formuler l'hypothèse qu'il y a là
l'emblème du discours politique des années 1990:
la référence au procès crucial de "mondialisation"
(l'Autre est l'extra-national) et la tendance à la "présentification"
du temps que plusieurs auteurs voient se déployer sous
le mode de la rationalité instrumentale, le pragmatisme
et l'adaptation systémique au changement.
2. La désignation des entités macro-politiques
On a constaté, parmi les noyaux du contenu,
la prééminence des termes qui nomment les grands
ensembles sociétaux. La désignation des entités
macro-politiques - la nation, le peuple, les citoyens, le monde,
etc. - constitue en effet l'une des dimensions-clés dans
la production du discours politique, puisque celui-ci tente incessamment
de présenter la réalité sous le mode de l'identité/altérité,
en démarquant le Nous par rapport à l'Autre (Verón,
1987). Tout discours proprement politique travaille alors une
représentation d'entités dont on peut répertorier
un certain nombre de catégories, à savoir: 1. Les désignations du collectif national. 1.1. Désignation spécifique du collectif national. 1.2. Désignation générique du collectif national. 2. Les désignations de la société civile. 2.1. Désignation de la société civile: agrégat. 2.2. Désignation de la société civile: unités. 3. Les désignations de l'État.
4. Les désignations du collectif supra-national.
Nous nous servons ici d'un découpage empirique
mais qui garde néanmoins un sens sociologique précis:
le collectif national correspond au "tout" sociétal,
alors que l'État et la société civile constituent
les deux pôles fondamentaux de l'organisation politique;
le collectif supra-national équivaut à ce qui est
par dessus ou au-delà du pays.
Des dictionnaires contenant les listes de désignateurs
macro-politiques ont été préparés
et projetés. La sélection des termes a été
réalisée selon des critères les plus standardisés
possible. Dans certains cas, les frontières sont difficiles
à tracer; nous avons privilégié l'application
de quelques règles formelles qui assurent une certaine
homogénéité. Par exemple, les termes population
et habitants sont employés souvent comme ayant la
même signification ("la population du Canada"
et "les habitants du Canada"), mais nous les classons
dans deux catégories distinctes sur la base de leurs caractères
respectivement agglutinant et énumératif. Dans le
cas des désignateurs spécifiques, le critère
qui prévaut est autre: les termes Canada et Canadiens
vont ensemble, car on privilégie leur valence identitaire
(il est question du nom propre du pays).
Le tableau 2 montre la participation des catégories
définies dans chacun des corpus examinés. Il est
à noter que les valeurs obtenues sont assez uniformes:
si l'on exclut les écarts prononcés (désignation
spécifique du collectif national [11.9] et désignation
de l'État [10.4] chez Mulroney), on a une distribution
comme suit: - désignation spécifique du collectif national (6.0 à 8.4); - désignation générique du collectif national (5.6 à 7.2); - désignation de la société civile: agrégat (4.1 à 6.8); - désignation de la société civile: unités (2.1 à 4.1); - désignation de l'État (2.8 à 3.8);
- désignation du collectif supra-national
(2.4 à 3.4).
Peut-on s'attendre à pouvoir établir,
dans des recherches futures, des paramètres de référence?
Étant donné que le dépistage des désignateurs
est très facilement exécutable dans les trois langues,
des tests à grande échelle (multiplicité
de corpus de tailles diverses) pourront être effectués.
Le graphique 1 présente le poids comparatif
des quatre champs, nommés Nation, Société,
État et Monde. Bien que la distribution soit relativement
stable, on remarque toutefois qu'il existe une variation au niveau
des proportions des catégories Société et
État: chez Clinton, il y a une nette prédominance
de la désignation de la Société; dans le
cas de Menem, ce rapport est plus nuancé; chez Mulroney,
c'est la catégorie de désignation de l'État
qui l'emporte. Nous avons déjà vu que Mulroney se
distingue aussi par l'importance de la désignation spécifique
du collectif national. Est-il fortuit qu'il s'agisse justement
du pays qui rencontre le plus de difficultés en ce qui
concerne son identité collective (liée d'ailleurs
intimement à la définition constitutionnelle des
rapports entre les divers paliers de gouvernement)?
3. Le covoisinage des désignateurs macro-politiques
Lorsque la nation, le peuple ou l'individu sont
évoqués par le discours politique, des réseaux
d'associations lexicales se tissent en consonance avec une vision
idéologique ou stratégique particulière.
Il nous paraÎt alors essentiel d'examiner les correspondances
entre les désignateurs et ses contextes syntagmatiques,
de façon à pouvoir saisir le spectre des objets
et des qualifications apparentés par le discours aux entités
macro-politiques. L'étude comparative des covoisinages
permet d'observer les faisceaux qui s'articulent dans chaque corpus
autour de la Nation, la Société, l'État et
le Monde: qu'est-ce que le locuteur dit lorsqu'il nomme l'une
ou l'autre de ces grands repères de la vie collective?
L'analyse de cooccurrences vise à obtenir
la liste des mots-pleins cooccurrant avec le mot-pôle, pour
lesquels la cooccurrence est statistiquement significative. Pour
une cooccurrence particulière, l'unité d'observation
est la phrase (délimitée par la ponctuation forte)
et la variable étudiée est le nombre de phrases
contenant cette cooccurrence. La mise en évidence de la
significativité de la cooccurrence s'effectue par l'intermédiaire
d'un test qui compare la proportion de phrases contenant le mot-pôle
et le mot cooccurrent avec la proportion espérée
sous hypothèse nulle. L'objectif est d'obtenir une description
préliminaire du voisinage lexical distinctif des catégories
de désignation retenues pour pouvoir, ensuite, trier et
regrouper les termes ressortis selon leurs affinités sémantiques
et leur pertinence analytique. Il s'agit d'une opération
nettement heuristique plutôt que de démonstration,
en ce que l'on vise des résultats "manipulables"
et "lisibles" pour une analyse préliminaire efficace.
C'est pourquoi les seuils fréquentiel et de probabilité
sont fixés de façon expérimentale pour chaque
corpus, après divers tests, afin de trouver le meilleur
équilibre entre ces paramètres.
Dans l'ensemble, le discours de Clinton (voir Annexe
1) se caractérise par l'importance extraordinaire attribuée
aux questions de la santé (health care) et de l'emploi
(jobs), liées fortement aux désignateurs
du collectif national et sociétal. Parmi les termes qui
s'associent de manière spécifique à la désignation
de la Nation, on remarque d'une part la référence
à l'économie et à l'industrie (economic,
economy, companies, manufacturing, invest, products, industry)
et, d'autre part, l'évocation de l'American Dream
et d'une sorte de temporalité sociale (future, generation,
history, century), ainsi que l'emploi de formes verbales suggérant
l'acte de "rétablir un état ancien" (rebuild,
restore, rebuilding, revitalize). Dans le covoisinage de la
désignation de la Société, on trouve les
thématiques typiquement "sociales" aux États-Unis:
l'éducation (education, schools, educate, teachers),
l'accès aux soins de santé (insurance, medical,
sick, cancer, hospital), la criminalité (police,
law, enforcement, guns), le logement (housing) et la
pauvreté (welfare, poor, poverty). On note aussi
la référence à des "catégories"
de population (young, parents, kids, elderly, racial, mothers,
disabilities) et au registre de la vie communautaire (values,
community, communities). La désignation de l'État
exhibe dans son entourage syntagmatique le vocabulaire du "gestionnaire"
pragmatique (costs, dollars, budget, cost, strategy, average,
management) et prudent (control, responsibility, spending,
spend), ainsi que la référence au secteur privé
(business, private, partnership, businesses). Enfin, parmi
les cooccurrences de la désignation du Monde, se dégage
clairement le paradigme de la compétition (compete,
win, competitive, competition, productivity, success, threat,
challenges, fight, losing) et du leadership (leadership,
strong, lead, led), ainsi que l'emploi de plusieurs superlatifs
(advanced, best, highest, greatest, strength, higher, largest).
D'autre part, on voit trois types de "consignes" géo-stratégiques:
démocratie (democracy, democratic, freedom, democracies),
environnement (environmental, environment, Rio) et stabilité
(peace, security).
Le discours de Mulroney (voir Annexe 2) montre une
association significative entre la désignation de la Nation
et certains termes qui renvoient à la valorisation de la
vie collective (histoire, identité, réconciliation,
commun). Dans le voisinage de la désignation de la
Société, on voit ressortir la question des droits
(droits, protection, égalité) et de ce qu'on
appelle la "mosaïque canadienne" (minorité,
diversité, ethniques). On remarque aussi l'emploi de
certains épithètes suggérant l'idée
de complétude (essentiel, pleine, entière).
Parmi les mots qui accompagnent la désignation de l'État,
on peut signaler la référence au débat sur
la répartition des juridictions (autonomie, provinces,
fédéral, provinciaux, Ouest), aux États-unis
et au libre-échange, à l'idée d'entente
(accord, concert), ainsi qu'à des aspects de la
gestion étatique (réforme, efficace, efficacité,
assainir). Quant à la désignation du Monde,
leurs cooccurrences renvoient à l'activité commerciale
(marchés, commerce, commerciales, commerciaux),
à l'ouverture (échanges, interdépendance,
ouverture) et à la concurrence (concurrence, compétitivité,
compétitif, compétitive); on remarque également
la référence à certaines "valeurs"
(liberté, développement, environnement, paix,
sécurité) ainsi qu'à la technologie (technologie,
technologiques, sciences); enfin, un éventail de termes
évoquent des attitudes de collaboration (protection,
aide, défendre, promotion, promouvoir, préserver,
soutenir, appuyer).
Dans le discours de Menem (voir Annexe 3), la désignation
de la Nation apparaÎt liée clairement à des
notions qui mobilisent l'intégration sociale (unidad,
hermanos, conjunto, reconciliación, traición),
ainsi qu'à l'emploi d'adjectifs renforçateurs (gran,
grandeza, grande, inmensa). Dans le covoisinage de la désignation
de la Société, on retrouve entre autres la référence
à l'activité économique (economía,
mercado, económico), à la sphère de la
spiritualité (moral, Dios, bendiga, cristiana, humanista,
bendita) et à une variété de sentiments
ou d'états affectifs (felicidad, feliz, querida, amados,
entusiasmo). Quant à la désignation de l'État,
on remarque l'appel à l'action (hacer, acción,
acciones), à la transformation (reforma, transformación,
transformar, transformado, renovado) et à la restructuration
(relocalización, descentralización, eficientes,
normalización). Enfin, parmi les mots associés
de manière statistiquement significative à la désignation
du Monde, on observe l'évocation du changement (nuevos,
nuevo, cambios, evolución, transformaciones, procesos,
reorganización), de la nécessité (imprescindible,
cruciales), ainsi que la référence à
la question de la participation sur la scène internationale
(cooperación, integración, protagonista, aislados,
aislamiento, concierto, inserción, integrarnos, presencia).
Nous ne pouvons pas nous arrêter sur chacune
des données. La variété et la richesse des
résultats obtenus témoignent du potentiel de l'analyse
des covoisinages des désignateurs macro-politiques. Mentionnons
rapidement quelques pistes d'analyse extrêmement prometteuses
du point de vue sociologique. On devine, par exemple, un discours
prônant le "rattrapage de l'American Dream"
chez Clinton, un discours rappelant l'"histoire commune"
chez Mulroney et un discours valorisant la solidarité et
le "bonheur du peuple" chez Menem. On peut risquer l'hypothèse
que trois manières nettement distinctes de concevoir le
collectif national sont à l'oeuvre dans les discours examinés:
le pays comme incarnation d'une valeur transcendante (l'Amérique
est l'idéal de la réussite), le pays comme fruit
d'une expérience partagée (le Canada est une construction
collective), le pays comme communauté d'appartenance (l'Argentine
est une famille).
D'autre part, on voit se dégager comme thématique
commune aux trois discours la question de la gestion efficace
de l'État et de sa réforme qui représente
une option politique prônée par le néo-libéralisme.
Il est à remarquer également dans l'ensemble l'importance
de la référence au commerce mondial, à l'ouverture
des marchés et à la compétitivité
internationale; il s'agit en effet du grand thème de la
fin du siècle: la globalisation. Pourtant, trois manières
très différentes de représenter l'insertion
du pays dans ce monde "globalisé" sont véhiculées:
par la voie du leadership et du succès (Clinton), par celle
de la collaboration et de la protection (Mulroney), par celle
enfin de la présence et de l'intégration (Menem).
4. L'inscription du locuteur dans l'énonciation
Autant que le contenu, la forme est une dimension-clé
de tout discours, d'où la distinction consacrée
par la linguistique entre énoncé et énonciation:
respectivement, l'étude de "ce qui est dit" versus
l'étude de "comment cela est dit". L'un des volets
les plus intéressants de l'analyse de l'énonciation
est celui qui concerne l'inscription du locuteur dans son discours,
soit la manière dont le locuteur réfère à
lui-même par l'usage de certains lexèmes.
Il va sans dire que cet aspect est central lorsque
le discours est de nature politique, car le statut de l'énonciateur
est névralgique dans la dynamique de constitution du lien
discursif. Celui qui parle - le sujet du discours - devient, au
moyen de certaines opérations linguistiques, un nouvel
objet du monde: il s'attribue - sinon de manière explicite,
par connotation - une position et des qualités qui définissent
son identité politique (Maitland et Wilson, 1987).
L'inscription du locuteur dans l'énonciation
se réalise typiquement par l'utilisation de certains mots
grammaticaux (les pronoms personnels, les adjectifs et les pronoms
possessifs) ainsi que par le recours aux désinences verbales
correspondant aux premières personnes du singulier et du
pluriel. Étant donné qu'il existe des divergences
sur le plan syntaxique entre les trois langues des corpus retenus,
nous avons prévu pour le protocole des procédures
visant à obtenir des résultats comparables. Les
voilà: - l'identification des principaux verbes conjugués aux premières personnes du singulier et du pluriel; - la mesure de l'importance relative des possessifs des premières personnes du singulier et du pluriel;
- l'observation des principaux noms associés
aux adjectifs possessifs des premières personnes du singulier
et du pluriel.
En ce qui concerne l'identification des principaux
verbes conjugués aux premières personnes du singulier
et du pluriel, l'opération consiste à repérer
les formes les plus fréquentes dont le sujet grammatical
(explicite en anglais et en français, implicite en espagnol)
est I / je / yo ou we / nous / nosotros.
Cette première procédure sert à
établir une image synthétique de "ce que le
locuteur fait dans son discours". Les résultats sont
assez éloquents (voir Tableau 3):
i) outre l'importance de la forme verbale we can,
on voit se dégager dans le discours de Clinton l'orientation
normative pour le collectif (we need, we must, we ought, we
should) et l'activité subjective du locuteur (I
want, I believe, I say, I know);
ii) chez Mulroney, on vérifie la prédominance
relative du nous devons et, en général, le
faible poids quantitatif des formes verbales conjuguées
à la première personne du singulier;
iii) le discours de Menem évoque fortement
la volonté (quiero, queremos, deseo) et la norme
(debemos, [no] podemos); on note par ailleurs un verbe
d'action (vengo) et un verbe à force illocutionnaire
(pido).
Ces observations nous permettent de conclure, de
manière provisoire, à l'existence de certaines régularités
dans les discours politiques. Par exemple, on constate le recours
à la prescription inclusive du "nous devons"
(Clinton, Mulroney et Menem) qui s'articule, chez les politiciens
qui visent le ralliement populaire (Clinton et Menem), au sujet
volitif du "je veux". On voit aussi que la capacité
inclusive du "nous pouvons" est utilisée par
les trois discours, mais avec des intensités différentes.
Enfin, on remarque chez Menem un trait distinctif: le locuteur
"vient" et "demande" (au sens de "solliciter").
Peut-on supposer qu'il y a là un indice du type de stratégie
discursive mise en oeuvre par le président argentin qui
chercherait à se représenter comme quelqu'un qui
arrive de la périphérie du pouvoir afin d'interpeller
la société dans son ensemble?
Quant à la mesure de l'importance relative
des adjectifs et des pronoms possessifs dans le discours, on voit
une prédominance générale du pluriel sur
le singulier (Tableau 4). Si l'on considère que, chez Mulroney,
les trois quarts des occurrences des possessifs du singulier correspondent
à la phrase "mon gouvernement" (une sorte de
formule figée; voir plus bas), on observe des chiffres
comparables et un rapport assez stable de 3 ou 4 à 1 en
faveur du pluriel (voir Graphique 2). Cette mesure peut s'avérer
très utile dans le futur en ce qu'elle peut constituer
l'un des indicateurs quantitatifs de base pour évaluer
le "degré" d'inscription du locuteur dans l'énonciation:
toute variation (inter-textuelle ou intra-textuelle) du taux pluriel/singulier
pourrait être interprétée comme une modification
significative de la forme du discours.
Finalement, l'observation des principaux noms associés
aux adjectifs possessifs des premières personnes du singulier
et du pluriel sert à identifier certains liens que le locuteur
établit vis-à-vis le monde. En déclarant
ainsi une relation d'appartenance (réelle ou figurée),
celui qui parle "s'approprie" les référents
à travers le discours. Le repérage des principaux
termes qualifiés par les possessifs peut s'effectuer de
façon automatisée à travers le dépistage
des contiguïtés lexicales.
Le Tableau 5 montre l'existence de certaines phrases
communes aux trois discours: our country / notre pays / nuestro
país et our economy / notre économie / nuestra
economía. Clinton et Menem partagent aussi les syntagmes
our people / nuestro pueblo et d'autres références
au collectif national: our nation, my fellow Americans, nuestra
patria, mi patria, mi pueblo. Ces deux politiciens utilisent
également la phrase our children / nuestros hijos.
On remarque chez Mulroney le poids de la référence
au gouvernement (en fait, sur la liste, on voit que le locuteur
ne s'individualise qu'en mentionnant mon gouvernement et
mes ministres), ainsi qu'un ensemble d'associations qui
semblent renvoyer à la figuration d'un patrimoine collectif:
notre société, notre histoire, notre identité,
notre capacité et nos valeurs. Le discours de
Clinton se démarque par la référence aux
autres (our competitors), par la mise en valeur de sa vie
privée (my mother, my friend, my life) et de son
origine (my State), ainsi que par son ton programmatique
(my plan, our problems). Enfin, Menem parle aussi du gouvernement
(mi gobierno, nuestro gobierno), d'un collectif transnational
d'appartenance (nuestros países) et réfère
de manière métalinguistique à son propre
discours (mis palabras).
Le bilan de cette partie de l'expérience
se révèle très positif: trois procédures
très économiques sur le plan opérationnel
permettent de dresser un profil comparatif fort intéressant
pour la génération d'hypothèses d'interprétation
sociologique. Si l'on résume l'essentiel des résultats
obtenus, on constate que les trois locuteurs ont recours à
la formule "nous devons" (s'agit-il de l'un des concepts
primitifs du discours politique?), thématisent "notre"
collectif national et "notre" économie (y a-t-il
une tendance généralisée à représenter
le collectif national comme collectif économique dans le
discours politique actuel?) et ont tendance à s'inclure
dans le discours par l'usage de la première personne du
pluriel (indépendamment du degré de populisme ou
d'électoralisme!). Clinton et Menem se rapprochent par
l'emploi fréquent du syntagme "je veux", ainsi
que par la référence à la figure de "nos
enfants" (ce qui représente une métaphorisation
de l'avenir sociétal et une banalisation de l'utopie).
Alors que Mulroney évoque un patrimoine collectif (le grand
enjeu canadien), Clinton montre son côté personnel
(dans la meilleure tradition électorale américaine)
et Menem se représente comme quelqu'un qui "vient",
qui "demande" et qui prend distance à l'égard
de son propre discours (créant ainsi un effet d'extériorité
vis-à-vis de la machine politique contre laquelle il fait
valoir le sens commun?; voir Armony, 1992).
5. La modalisation verbale
Sur l'axe de la temporalité, le propre du
politique est de représenter une distance imaginaire à
parcourir, celle qui existe entre le présent (tel qu'il
est) et l'avenir (idéal). C'est là que se déploie
la formule conditionnelle de la "promesse": si vous
m'accordez l'autorité (pour vous guider), le futur sera
A (désirable) plutôt que B (redoutable). Voilà
le fondement "contractuel" du discours et la clé
de son efficace comme acte de parole.
Sous cet angle, le discours politique est essentiellement
"programmatique", en ce que, formellement, il constate
un état des choses (le "diagnostic") et expose
un plan pour sa transformation (au sens large: changement ou reproduction).
Il se veut un "projet d'action" et fait, par conséquent,
appel aux registres volitif, cognitif et de la logique modale
(nécessité et possibilité). En d'autres termes,
l'énonciateur déclare un "vouloir faire",
un "savoir faire", un "devoir faire" et un
"pouvoir faire".
"Work, family, future - that is what we must
honor and reward. Together we can end this era of every
person for himself and begin the era of we're all in this together."
(B. Clinton, 4/6/1992)
"Si le Canada veut rester à la
hauteur de la situation et être compétitif dans cette
nouvelle conjoncture mondiale, il doit pouvoir compter
sur les compétences et l'ingéniosité de tous
ses citoyens." (B. Mulroney, 3/4/1989) "Pero sabemos que con todo esto todavía no alcanza. Y que tenemos, debemos y podemos seguir haciendo mucho mÁs. Porque levantar a un país tras décadas de parÁlisis, no es tarea de meses sino de años." (C. Menem, 1/5/1992)
A.-J. Greimas (1976) a proposé d'étudier
la modalisation - la modification du prédicat par le sujet
- relative à la compétence pragmatique du "sujet
se disposant à agir", c'est-à-dire à
la façon dont le discours module la potentialité
de l'action. Cet auteur propose quatre catégories de modalisation
de la compétence: le Vouloir, le Devoir, le Pouvoir et
le Savoir. Les deux premières sont des "modalités
virtualisantes", tandis que les deux autres sont des "modalités
actualisantes". On peut dire qu'elles évoquent, respectivement,
les préalables subjectifs de l'acte et les conditions objectives
pour son éventuelle réalisation.
Il nous semble possible de relier les modalités
verbales aux registres programmatiques mis en oeuvre par le discours
politique. Bien évidemment, il n'y pas d'association univoque:
l'emploi d'une modalité de Devoir dans le discours, par
exemple, ne renvoie pas nécessairement à la dimension
du "devoir faire" du projet d'action véhiculé
par le discours. Nous faisons pourtant l'hypothèse que,
prise dans son ensemble, l'utilisation récurrente d'une
modalité "active" ou "renforce" son
registre respectif.
Le protocole de description quantifie la participation
de ces quatre catégories selon leur manifestation la plus
simple: la fréquence relative d'emploi des formes verbales
qui correspondent directement à chacune des modalités
de compétence. Des dictionnaires contenant toutes les désinences
des principaux verbes et phrases verbales qui incarnent les modalités
de compétence ont été alors compilés
et projetés sur les trois corpus.
Cette procédure permet de constater, par
exemple, que la modalité de Pouvoir est la dominante dans
les discours des politiciens nord-américains, alors qu'elle
arrive en dernière chez le politicien sud-américain
(voir Tableau 6). En fait, il semblerait que le clivage se situe
au niveau des modalités de Pouvoir et de Vouloir: ce n'est
que dans le cas de Menem que la seconde catégorie l'emporte
sur la première.
En regroupant les modalités selon qu'elles
soient "virtualisantes" (Vouloir et Devoir) ou "actualisantes"
(Pouvoir et Savoir), on observe que les discours de Clinton et
de Mulroney gardent tous les deux la proportion suivante: de cinq
modalisateurs verbaux de compétence, trois sont actualisants
et deux sont virtualisants. Par contre, il y a chez Menem une
nette prédominance des catégories virtualisantes:
elles représentent près des deux tiers des modalisateurs.
Lorsqu'on représente sur une echelle unique
la participation des quatre catégories de modalisation
dans chaque corpus (voir Graphique 3), celles de Devoir et de
Savoir semblent avoir un poids comparable dans les trois discours,
avec un léger "déficit" relatif pour la
modalité de Devoir chez Clinton et pour la modalité
de Savoir chez Mulroney.
Est-il possible de considérer que le rapport
entre les modalités de Vouloir et de Pouvoir exprime le
degré de "réalisme" du discours en question?
Ou inversement, est-ce qu'il mesure en quelque sorte l'écart
posé par le discours entre les deux moments de la temporalité
politique (le présent et l'avenir). On peut en effet avancer
l'hypothèse que le président argentin, devant faire
face à de profonds bouleversements sociaux, politiques
et économiques durant la première année de
son terme, est porté à surinvestir la dimension
"projectuelle" par l'appel à la volonté,
alors que, par contraste, elle semble pratiquement évacuée
du discours officiel du premier ministre canadien.
Et encore, l'étude quantitative des modalisateurs
verbaux de compétence peut servir à évaluer,
toujours de façon approximative, jusqu'à quel point
le rapport du sujet parlant à son propre énoncé
est de nature "finaliste" ou "instrumentaliste".
On peut dire que la modalisation virtualisante répond implicitement
aux questions: veut-on, doit-on le faire? (le cas de Menem), alors
que la modalisation actualisante s'adresse à celles-ci:
peut-on, sait-on le faire? (les cas de Clinton et Mulroney). La
potentialité de l'action est posée ainsi de deux
manières différentes: par rapport à un choix
subjectif (intentionnel, éthique, etc.) ou par rapport
aux conditions de sa réalisation (la possibilité
et la connaissance). Sans prétendre à établir
une corrélation immédiate entre le type de modalisation
et la façon dont le locuteur se conçoit comme acteur
dans le monde, il nous paraÎt nécessaire de continuer
à tester cet indicateur qui relie la surface textuelle
à des aspects fondamentaux de la discursivité politique.
V - Conclusion
On exagère à peine en affirmant que
le chercheur n'a aujourd'hui que l'embarras du choix en ce qui
concerne la collecte des matériaux textuels. L'accès
à la documentation on-line, aux "textes électroniques",
aux bases de données sur CD-ROM et aux réseaux
internationaux de communication scientifique, ainsi que l'existence
de lecteurs optiques et de logiciels de reconnaissance de caractères
très performants, permettent au chercheur de constituer
rapidement un corpus prêt au traitement informatique. Cette
tendance ne fera bien sûr que s'accentuer. D'autre part,
la mise en marché de machines de plus en plus efficaces
et le développement continu de programmes de gestion et
d'analyse de textes font en sorte que la capacité de traitement
s'accroÎt au même rythme que la disponibilité
de données. Tout cela donne lieu à une "explosion"
des ressources qui peut facilement désorienter l'analyste
du discours: par où commencer le dépouillement d'un
corpus de milliers de pages à l'aide d'un ordinateur capable
d'effectuer quasi instantanément plusieurs opérations
différentes de dénombrements et de calculs statistiques?
Nous avons conçu le projet d'entreprendre
la description formelle, systématique et efficace de plusieurs
discours politiques au moyen d'un certain nombre de procédures
de comparaison pouvant mener à distinguer des universaux
et des domaines discursifs de variation. Il est à signaler
que ce protocole doit être vu, dans son état actuel,
comme un projet encore ouvert, en ce qu'il existe la possibilité
d'élargir la bande d'essai à un grand nombre de
corpus ainsi que de faire appel à davantage d'indicateurs
touchant à d'autres aspects référentiels
et indiciels de la surface discursive.
Nous croyons avoir montré la pertinence et
le potentiel de l'instrument proposé. Il ne se substitue
nullement à d'autres approches d'analyse du discours politique,
tant quantitatives que qualitatives. Il vise plutôt à
apporter des pistes de recherche particulières (à
prolonger par des études approfondies), des paramètres
et des standards du genre (aidant à interpréter
le comportement des cas singuliers et locaux) et des critères
de comparaison (qui soient extrapolables à de nouveaux
corpus et de nouvelles conditions de recherche).
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et démocratie en Argentine: une étude préliminaire",
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Verón, Eliseo (1987): "La palabra adversativa: observaciones sobre la enunciación política", dans E. Verón et al., El discurso político: lenguajes y acontecimientos, Buenos Aires, Hachette, pp. 11-26.
F: fréquence relative exprimée en occurrences sur mille
R: nombre d'allocutions où apparaÎt
le mot divisé par le total d'allocutions
F: fréquence relative exprimée en occurrences sur mille
F: fréquence relative exprimée en occurrences sur mille *Un quart des occurrences sous forme négative: "no queremos" **La moitié des occurrences sous forme négative: "no podemos"
F: fréquence relative exprimée en
occurrences sur mille
F: fréquence relative exprimée en
occurrences par mille
F: fréquence relative exprimée en
occurrences par mille
NOTE: Les seuils sont (p étant probabilité
et fc fréquence de cooccurrence): p < 0.01 et fc >
10 (Nation chez Clinton); p < 0.01 et fc > 9 (Société
chez Clinton); p < 0.01 et fc > 9 (État chez Clinton);
p < 0.01 et fc > 5 (Monde chez Clinton); p < 0.15 et
fc > 5 (Nation chez Mulroney); p < 0.1 et fc > 2 (Société
chez Mulroney); p < 0.1 et fc > 4 (État chez Mulroney);
p < 0.1 et fc > 1 (Monde chez Mulroney); p < 0.01 et
fc > 5 (Nation chez Menem); p < 0.01 et fc > 2 (Société
chez Menem); p < 0.01 et fc > 2 (État chez Menem);
p < 0.01 et fc > 2 (Monde chez Menem). |